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L’amélioration de notre service public est une ambition et un objectif mais comment y parvenir ?

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Notre honorable lecteur n’ignore pas sans doute le rôle prépondérant que jouent les services publics dans la création et le maintien de l’environnement propice à notre développement économique et social. Ce sont eux qui sont en charge de s’acquitter des missions régaliennes de l’Etat dans tous les domaines et notamment en matière de sécurité, d’ordre et de stabilité nécessaire à toute croissance.

C’est pour ce rôle central, que l’on s’attèle actuellement à les réformer et que des efforts de réflexion et de recherches sont fournis pour leur amélioration conformément aux orientations du Président de la République. L’ambition est donc de rendre nos services publics toujours plus efficaces et plus efficients mais la question est de savoir comment y arriver ?

Les paragraphes qui suivent, font focus sur des pistes phares de management public expérimentées, par plusieurs pays dans le monde. Et pourvu que l’on y trouve ou qu’elles nous aident à trouver quelques éléments de réponse.

Quelques expériences phares

Dans ces trente ou quarante dernières années on a assisté à la naissance et au développement d’une multitude de démarches d’amélioration de la qualité des services publics un peu partout dans le monde. Ces démarches marquent un passage progressif de la gestion, dans la sphère publique, d’une logique de moyens à une logique de résultats. Elles se sont inspirées, pour la plupart, des principes du management de la qualité d’origine privée.

Dans les paragraphes qui suivent deux expériences seront soumises à l’éclairage l’expérience de la France et celle de la cité-Etat de Dubaï aux Emirats Arabes Unies.

En ce qui concerne la deuxième expérience, j’ai eu l’opportunité de la voir de plus prés lorsque, j’ai participé, en mars 2015, à un colloque d’échange d’expériences réussies organisé par l’Organisation Arabe de Développement Administratif (ARADO) à l’Emirat de Dubaï. L’expérience de Dubaï a permis, en effet, à cette citée-Etat de passer d’un petit village perdu dans le désert en 1970 à un hub de services multiformes comparable au Luxembourg en Europe ou à Singapour en Asie du sud-est.

Pour ce qui est de l’expérience française, je n’ai pas eu la chance de l’étudier de prés, mais, j’ai pu en avoir des idées crédibles à travers les informations que j’ai pu glaner, ici et là, en utilisant Internet.

L’expérience de Dubaï

Les dubaiotes ont mis en œuvre des démarches de gestion publique inspirées du model anglo-saxon. Dénommées localement : systèmes de pilotage de la performance publique de Dubaï (SPPP), Ces démarches revêtent les formes que nous pouvons découvrir à travers les développements suivants de Bouchra FNINOU dans son article intitulé l’usage des outils de contrôle de la gestion dans l’administration de l’éducation de Dubaï.
• « L’élaboration d’objectifs et d’indicateurs de performance : chaque administration a une mission et des objectifs stratégiques avec un but ultime d’atteindre la vision de Dubaï « d’être numéro 1 dans le monde ». Le suivi des objectifs stratégiques de ces administrations est fait par le biais d’un ensemble d’indicateurs développant ainsi une culture de résultats et une « accountability( ) ». Le balanced scorecard est aussi utilisé par la majorité des administrations.
• « Le passage d’une logique de moyens a une logique de résultats : l’administration de Dubaï a reformé sa gestion budgétaire en mettant en place le budget de programme en 2009 qui articule les objectifs stratégiques et les moyens financiers.
• « Compétition interne et benchmarking( ) externe : la démarche d’excellence occupe une place importante dans l’administration de Dubaï. En effet, toutes les administrations dubaïotes participent au prix d’excellence DGEP (Dubaï Government Excellence program) depuis 1997 et veillent à occuper les premières places. Une compétition positive s’est ainsi instaurée entre les administrations avec un partage des meilleures pratiques (El Kahlout, 2010). Ces administrations recourent aussi au benchmarking pour comparer leurs processus, pratiques et résultats avec d’autres organisations locales et internationales.
• « La multiplication des audits et des démarches de certification : les audits internes et externes (contrôle financier du département d’audit financier (FAD), contrôle d’excellence de DGEP) sont très présents dans les administrations de Dubaï. Ces audits ont pour but de contrôler la performance des administrations et d’améliorer leur gestion. Les démarches de qualité sont aussi développées au sein des administrations de Dubaï et la majorité sont certifiées ISO.
• « L’introduction des systèmes d’incitation liés aux performances individuelles : l’administration de Dubaï a mis en place en 2008 un dispositif d’intéressement des employés appelé IPA (Individual Performance Agreement) . Ce dispositif consiste à l’évaluation et la récompense de la performance individuelle. L’évaluation des employés se fait sur la base de l’atteinte des objectifs (70%) et sur les compétences professionnelles (30%). Le système d’incitation est basé sur le mérite… »

L’expérience de la France

La France, dans le cadre de la recherche de son équilibre budgétaire, a adopté progressivement depuis le milieu des années 80 un panel de démarches qualité toutes inspirées des principes de la gestion de la qualité. L’objectif de ces démarches réside dans la réduction des dépenses et l’augmentation de l’efficience et de l’efficacité de la gestion dans le secteur public tout en améliorant la qualité de ses services aux usagers.
Pour l’atteinte de cet objectif, les français ont adopté progressivement une batterie de démarches qui se sont exprimées dans les éléments suivant :
Les cercles de qualité qui ont été adoptés à partir de 1987, dans le cadre du programme Qualité France. Ils ont vu le jour dans plusieurs établissements publics, des ministères et des services communaux. Les cercles de qualité sont des groupes d’agents volontaires qui, après avoir reçu une formation adéquate à la démarche de résolution des problèmes, analysent les difficultés de leurs unités et proposent des solutions d’amélioration. La finalité poursuivie est la motivation des agents et l’amélioration de la qualité du service rendu au public ( ).
Ils ont permis selon Barouch, Chavas, 1993, p. 147 de révéler chez les fonctionnaires volontaires, des catégories B et C, des talents peu reconnus jusqu’alors et ont favorisé le développement de leur motivation et de la culture de l’évaluation chez-eux.
Appuyées par les circulaires successives des premiers ministres Edouard Balladur, Alain Juppé ou Lionel Jospin, de telles expériences qualité relatives à la modernisation des services publics se sont démultipliées, par la suite, surtout depuis 1994 dans tous les niveaux de l’appareil de l’Etat. De ces expériences, celles qui suivent peuvent etre citées :
• Les engagements de service : Il s’agit de rendre publics des engagements précis et mesurables en matière de qualité du service rendu et fixer une période suffisante pour se préparer, période à la fin de laquelle ces engagements entrent en vigueur. Plusieurs entreprises et services publics sous tutelle de l’État ont rendu publics leurs engagements de service aux usagers.

• La certification, l’accréditation : Les administrations concernées engagées dans cette voie des démarches qualité sont tenues de faire valider, par l’audit d’une tierce partie, leur respect des normes de qualité prises comme référentiel. La principale norme de certification, sur laquelle sont bâties la plupart des autres normes qualité, est l’ISO 9001.

• Les Chartes d’accueil : ce sont des engagements que les organisations publiques élaborent, concernant l’accueil du public et s’engagent à le respecter qu’il soit physique, téléphonique, écrit, ou par Internet. La Charte d’accueil dite Marianne a été mise en œuvre dans les services d’État le 3 février 2005 et elle a été suivie, à partir de février 2006, de la création d’un label Marianne.

• Le « Cadre d’Autoévaluation des Fonctions publiques » (CAF) : élaboré par un groupe d’experts à la demande du conseil des ministres européens et propose un référentiel global d’autoévaluation pour les managers publics. Il est diffusé officiellement en France en 2002.
• La Loi Organique relative aux Lois de Finances (LOLF) : votée le 1er août 2001 et entrée en vigueur le 1er janvier 2006, elle marque un tournant par rapport à la gestion publique traditionnelle. Le budget y est désormais construit par programmes dont l’efficacité et l’efficience sont mesurées par des indicateurs de résultat.

Nos différences avec « l’autre » nous interdisent-elles de lui emprunter des expériences ?

Impressionné particulièrement par les résultats colossaux de l’expérience de Dubaï, je me suis dis : « c’est vraiment ce qu’il nous faut pour moderniser notre administration ». Mais, avec le temps et avec plus de réflexion au sujet des deux expériences, il m’a semblé sage de penser aux différences relevant de la nature et du contexte politique et historique existant entre notre pays et chacun des deux pays en question et qui peuvent faire la réussite des démarches là-bas et leur échec ici.

Entre la Mauritanie et l’Emirat de Dubaï, il y a des différences, d’abord de taille : une cité-état face à un pays vaste 4 fois comme la France, de statut politique : une cité-état autonome relevant d’un ensemble d’Emirats fédérés face à un pays souverain et indépendant, et, enfin, de contexte historique : une ancienne colonie britannique de traditions anglo-saxonnes face à une autre ancienne colonie française de traditions francophones.

Ceci, sans parler des différences au niveau des ressources disponibles, actuellement, dans les deux pays mais qui peuvent disparaitre, un jour, compte tenu de la nature de notre sous-sol supposée etre fertile, ce sous-sol où s’intensifie actuellement l’activité d’exploration minière.

En face de ces différences, il y a, par contre, des ressemblances marquantes entre les deux pays : En effet, les deux états sont jeunes, désertiques et ont adopté, dans le passé, un style de vie nomade et sans expériences d’Etat central antérieur à leur colonisation.

Entre la Mauritanie et la France, si des différences de taille séparent les deux pays beaucoup de traditions communes les unies.

Et, même si les différences l’emportent sur les ressemblances, puissent-elles nous empêcher d’adopter des outils de gestion qui nous semblent réussis ? Ne pouvons-nous pas les emprunter des dubaiotes ou des français comme les dubaiotes l’ont fait des américains ou des britanniques ? Ne pouvons-nous pas les approprier en les mettant en œuvre au fur et à mesure de leur usage sur le terrain ?

Sans faire de recommandations particulières d’adopter l’une ou l’autre des deux expériences ci-dessus analysées, je pense qu’il nous appartient, dans la recherche de solutions à notre problématique, de passer en revue l’ensemble des expériences qui ont été jugées réussies à travers le monde et d’en adopter la plus adaptée à nos contextes nationaux.
Que l’on nous rende l’ascenseur, cela n’entame en rien notre fierté nationale. L’histoire des civilisations n’est-elle pas jalonnée par de nombreux exemples édifiants d’emprunt, d’adoption réciproque et d’appropriation ? L’apport de notre civilisation arabo-musulmane au moyen âge n’a-t- il pas servi, lui aussi, d’assise à l’essor de la civilisation de l’occident chrétien à l’époque contemporaine ?

Sid Ahmed Ahmed Jid
Directeur Général Adjoint
de la Modernisation de l’Administration